[Event] Webinar « La Fidélité à tout prix » par le Pôle Finance Innovation
Le 23 mars dernier, Finance Innovation organisait dans les locaux de La Place Fintech deux tables ronde autour de la thématique de la fidélisation dans l’univers bancaire. La première portait sur l’open banking, et sur les potentialités que cette pratique offre en matière de fidélisation clients. Retour sur près d’une heure de discussions entre cinq acteurs de l’écosystème, le tout orchestré par Frédéric Perrin, associé chez Exton Consulting en charge de la practice paiements.
Plus qu’un changement de qualité, un changement d’accès à la donnée bancaire
D’emblée, Frédéric Perrin entre dans le vif du sujet en demandant à ses cinq invités où l’on en est réellement de l’exploitation par les banques de l’open banking et de la DSP2 (directive sur les services de paiement) en France. Pour Thibault Guérin, Senior Business Developer chez Budget Insight, une plateforme d’agrégation des données bancaires à destination des banques et des fintechs, la récupération des données bancaires par API est en plein développement. « Grâce à la DSP2, certains de nos clients se branchent sur nos API et bâtissent des programmes de récompense pour leurs utilisateurs finaux« , explique Thibault Guérin. Pour Benoit Gruet, co-fondateur de CDLK, l’une des premières fintechs à avoir proposé aux banques un programme de cashback lié à la carte bancaire, le tournant n’est pas tant lié à la qualité de la donnée bancaire qu’à son accessibilité. « Tant qu’on n’est pas confrontés à cette problématique de la donnée, on n’a pas idée de ce que l’on peut en faire« , confie celui qui a aidé deux grandes banques françaises, LCL et Société Générale, à lancer leur programme de cashback associé à une carte bancaire dès 2015. Benoit Gruet revient sur les débuts du modèle, qui provient des Etats-Unis, et la croyance qu’il suffirait de prélever les données qui figurent sur le relevé bancaire des clients. « N’importe qui peut s’apercevoir que les libellés figurant sur les relevés sont souvent abscons ou imprécis« , remarque le co-fondateur de CDLK. C’est la raison pour laquelle son entreprise a fait le choix de prélever la data chez le processeur du paiement, donnée brute que CDLK retravaille et enrichit ensuite afin d’obtenir un libellé clair. « C’est la condition nécessaire pour s’assurer que le commerçant acceptera de payer le cashback, et permettre ainsi à la banque de mettre en place un programme de fidélité auto-financé« , avance Benoit Gruet, fort de son expérience dans le secteur.
Open banking et fidélisation : un marché toujours en construction
En lançant l’initiative Xpollens en partenariat avec Visa en juin 2019, Natixis Payments voulait permettre aux fintechs et aux marchands de profiter des potentialités ouvertes par la DSP2. Pour ce faire, la filiale du groupe bancaire a mis sur pied une offre de Payments in a box en marque blanche. En tant que directeur commercial et program manager de l’offre Xpollens, Guillaume Maigre est impliqué dans la problématique de fidélisation à laquelle ses clients sont confrontés. « Avec notre offre Banking-as-a-Service, nous aidons nos clients à collecter de la data à travers la carte de paiement, et à gérer la monétisation qui lui est liée« , expose Guillaume Maigre. Chez Xpollens, les équipes s’appuient sur la donnée processeur, en mixant d’une part les données issues de l’agrégation bancaire (« ALO », pour « Account-Linked Offers« ), qui permettent selon Guillaume de « rassurer ses clients« , et les données brutes liées au paiement par carte (« CLO » pour « Card-Linked Offers« ) d’autre part, « nécessaires pour convaincre un retailer, en plus d’apporter un précieux aspect temps réel« .
L’ancien de Famoco dresse un parallèle intéressant avec le monde du web, dans lequel le traceur n’est pas tant le paiement en carte bancaire que le cookie publicitaire. Dans ce parallèle, l’ALO et la data agrégateur correspondraient à un modèle de « pay-per-view », là où le CLO et la data brute relèveraient du « pay-per-purchase » selon Guillaume Maigre. « Grâce à la combinaison des deux approches et à la prise en compte de la donnée en temps réel, la contextualisation du déclenchement du cashback en magasin devient possible« , avance-t-il. « Ce que la DSP2 a permis, c’est d’adresser des acteurs qui viennent de l’univers publicitaire, qui veulent avoir accès à des flux de transaction sans être eux-mêmes régulés et sans chercher à l’être« , continue Guillaume Maigre, citant l’exemple de certains des clients de Natixis Payments dans le secteur des listes de mariage ou des foncières.
Avant que le modèle du cashback ne devienne une commodité, comme il peut l’être dans les pays anglo-saxons, il faudra que les mentalités évoluent, tant du côté des utilisateurs que des banques. Pour Benoit Gruet, le meilleur moyen de mesurer l’appétence des utilisateurs à confier leurs identifiants bancaires à un tiers reste de regarder les sondages. Selon ces derniers, en février 2020, 49% des Français en moyenne considéraient qu’ils n’avaient pas de souci à donner accès à leurs données transactionnelles à leur banque principale – un chiffre qui tombe à 10% s’il s’agit de leur banque secondaire, et à 5% lorsqu’il s’agit d’entreprises tierces comme les GAFAM ou les retailers. On pressent que l’adoption progressive du modèle de cashback sera indissociable des notions de confiance et de notoriété – en plus des considérations générationnelles.
Quel avenir pour ce modèle ?
C’est un tout autre modèle qu’a choisi Damien Guillaumond lorsqu’il a créé SoShop.Club en 2016, un programme de fidélité co-brandé avec des partenaires, qui s’appuie sur un compte et une carte distribués par un réseau de 25 000 buralistes. Ici, pas d’open banking, mais un enregistrement du client via un dispositif de KYC. Le tout est couplé à un système de parrainage, avantageux pour chacune des parties prenantes : le client, mais aussi le buraliste qui récupère une partie du cashback généré sur chaque transaction. Une opération vient d’ailleurs d’être lancée à la Réunion avec le partenaire Antenne Réunion, dont le programme de carte a réussi à réunir pendant la phase bêta plus de 3000 précommandes en quelques semaine.
Pour se faire une idée des formes que pourrait prendre le cashback à l’avenir, il n’est pas absurde de faire un pas de côté et de regarder les usages répandus sur d’autres géographies. Stéphane Nouy est Managing Director de Moneythor, une solution d’analyse et de recommandation à destination des banques qui leur permet de créer un contenu fidélisant pour le client, via une multitudes de dispositifs (système d’alertes PFM*, programmes de cashback internes ou externes, etc.). Moneythor est présent en France mais aussi en Asie, où Stéphane Nouy observe une conception légèrement différente du cashback. Financé par la banque elle-même, il peut être implémenté à des fins de ROI, ou servir à financer le développement d’une néobanque. « Certaines banques vont par exemple mettre en place du cashback pour inciter leurs clients à domicilier leurs salaires chez elles, ou à instituer des virements récurrents« , décrit le Managing Director de Moneythor. On pressent l’importance stratégique du cashback comme vecteur de communication privilégié pour les banques. Enfin, pour Stéphane Nouy, la fidélisation peut passer par d’autres canaux liés à l’open banking mais qui ne se réduisent pas au cashback. En Australie, la fintech de wealth management Acorns met à profit l’open banking pour proposer à ses utilisateurs l’arrondi au dollar supérieur, dans une logique d’aide à l’épargne – et in fine, de fidélisation.
En dépit des potentialités que l’open banking offre dans le domaine de la fidélisation, notamment via la mise en place de programmes de cashback, il faut résister à la tentation de penser que la fidélisation des clients ne peut se faire qu’au moyen de ce dernier. D’après les participants à la table ronde, de nombreux use cases devraient surgir dans les mois à venir, initiés par les banques qui se saisissent progressivement du sujet, mais aussi par les commerçants eux-mêmes – l’application Naomi, qui regroupe des commerçants du groupe Mulliez, en est un parfait exemple. A terme, le cashback pourrait devenir une commodité, et l’enjeu de fidélité pour les banques devra alors nécessairement passer par une différentiation dans la qualité des services qu’elles proposent. Mais avant cela, un travail de lobbying sera nécessaire pour évangéliser encore plus sur un sujet à la jonction des secteurs de l’audience et du monétique, aux régulations extrêmement différenciées.