[Interview] Benoit Gruet, CEO de CDLK, par Galitt
Quasi inexistant jusqu’à présent, le cashback, permettant aux clients de se faire rembourser une partie de leurs achats, trouve peu à peu sa place auprès des banques et néo-banques françaises. La Société Générale vient de dévoiler son nouveau programme de cashback, en partenariat avec CDLK. Entretien avec Benoit Gruet, co-fondateur et CEO de la FinTech.
Quelle est la genèse de CDLK ?
Benoit Gruet (BG) : « J’ai exercé des responsabilités pendant plus de 10 ans chez American Express, au sein desquelles j’ai initié des partenariats avec de grandes enseignes bancaires. À cette occasion, j’ai pu analyser les forces et faiblesses du business model de la carte bancaire en France. Et si la carte bancaire reste de loin le moyen de paiement privilégié des français avec 56% des paiements hors cash, elle souffre nativement d’une offre fortement standardisée, et surtout d’une incapacité à la fois historique et technique à rendre exploitable l’incroyable richesse des données qu’elle génère.
C’est donc dans ce contexte que Patrick Villeneuve, mon associé, et moi-même, avons créé CDLK en 2013, avec pour principal objectif de lancer en France une solution CLO (Card-Linked Offer), modèle révolutionnaire en plein essor aux US depuis 2010. Pour mémoire, le CLO est une solution innovante permettant aux banques de devenir diffuseur d’offres de réductions à leurs clients. Outre l’intérêt business pour les banques à s’associer avec le monde commerçant, la beauté du modèle est de rendre l’expérience pour le consommateur d’une grande simplicité, puisque la seule contrainte pour bénéficier de la réduction est d’utiliser sa carte bancaire.
En 2014, notre fintech a été sélectionnée par LCL (Groupe Crédit Agricole) pour les accompagner dans la transformation de leur programme de fidélité. Rétrospectivement, nous avons eu l’immense chance de rencontrer chez LCL des interlocuteurs qui nous ont fait confiance, alors que notre jeune fintech venait de se créer quelques mois auparavant. Notre collaboration avec LCL perdure depuis plus de 5 ans et elle s’est même renforcée en 2019.»
Avez-vous eu l’opportunité de bâtir votre solution sur la base d’une plateforme CLO opérationnelle existante ?
Benoit Gruet (BG) : « Naturellement, le plus simple aurait été d’importer une solution déjà opérante aux US pour la distribuer sous licence. Mais rapidement, l’absence de garantie en termes de gouvernance data et d’interopérabilité avec l’infra de grandes banques, nous a convaincu de développer notre propre solution »made in France ». Nous avons donc développé une nouvelle plateforme big data qui a la singularité d’être exploitable soit en mode embarqué, soit en mode Saas, avec un système garantissant qu’aucune donnée sensible ne sorte de la banque. La solution CLO regroupe différentes fonctionnalités, dont les principales sont le tracking, le publishing et le targeting, auxquelles on ajoute les briques nécessaires comme celle du SAV, de la cagnotte, etc … L’avantage pour la banque est, primo, de conserver la maitrise de la data tout en restant libre de s’interfacer avec plusieurs régies d’offres sans aucune friction technique, secundo, de bénéficier d’une solution évolutive permettant notamment de proposer aux commerçants des offres personnalisées, ainsi qu’une mesure précise de la performance ».
Le label Finance Innovation a été décerné à CDLK pour sa plate-forme PDMP. Comment fonctionne cette solution logicielle ?
BG : « L’un des grands challenges des opérateurs de cashback est d’être capable de sourcer techniquement un commerçant, c’est à dire d’identifier sans ambiguïté le point de vente à partir de sa signature monétique. Cette étape est indispensable pour garantir un process fiable de collecte de cashback auprès des commerçants. À titre d’exemple, un commerçant franchisé est d’accord pour payer à la performance s’il est certain de ne pas payer pour un autre franchisé au sein de la même enseigne. Ceci illustre le problème de fiabilité rencontré par les solutions exploitant les libellés d’opération directement accessibles sur les relevés de compte, via le scrapping ou via une API de type DSP2.
C’est pourquoi, dès le départ, nous avons fait le choix, un peu plus complexe, de collecter les données transactionnelles à partir des flux monétiques bruts, au niveau de la télécollecte. C’est dans ce contexte que nous avons développé la plateforme PDMP (Payment Data Management Platform) dont la mission est d’associer à chaque transaction une dénomination d’enseigne intelligible, avec son adresse et sa catégorisation.
La mission de la PDMP est donc de récupérer quotidiennement les millions de données transactionnelles importées dans la banque qui, une fois normalisées, standardisées et enrichies, nourrissent les différentes briques applicatives nécessitant ce travail de datacleansing en amont.»
Après le succès du CLO, CDLK a proposé une suite bancaire plus complète avec trois nouvelles offres. Quelques mots sur ces différentes offres ?
BG : « Si, grâce à la PDMP, la donnée transactionnelle devenait exploitable à des fins de cashback CLO, d’autres cas d’usages liés aux services bancaires ont été identifiés. Trois autres applicatifs ont été développés pour répondre à ces besoins.
EASY-SEG propose aux banques une segmentation client basée sur les comportements de consommation. La solution répond aux attentes de la direction marketing au sein de la banque qui souhaite dépasser la segmentation traditionnelle. A partir cet outil, il est possible de faire varier la promesse d’un service et de mettre en avant le bénéfice le plus pertinent selon la typologie de la population visée.
BUSINESS-INSIGHT s’adresse aux banques détenant une volumétrie de paiement carte significative sur une zone géographique. La banque peut ainsi proposer à ses clients commerçants une série d’indicateurs de performances de leur point de vente, comme la tendance du CA, du panier moyen, du profil des clients, et ce en mode benchmark versus les performances des autres commerçants situés à proximité. Ce type de solution a été monétisé dernièrement en Italie avec à la clé une source de PNB additionnel significatif.
SUPPORT-MERID adresse la problématique du manque de clarté actuel des relevés d’opérations bancaires en ligne. Lors de la consultation, cette nouvelle fonctionnalité apporte en un simple clic une réponse aux questions suivantes : à quel commerçant correspond cette dépense ? S’agit-il d’une fraude ? Comment catégoriser mes dépenses sans effort ? »
Cette solution SUPPORT MERID, qui a également été récompensée à l’occasion du Grand Prix Banque & Innovation 2018, a-t-elle été déployée par une banque à ce jour ?
BG : « SUPPORT MERID est une innovation qui paraît évidente pour les banques puisque, tout en améliorant la qualité de consultation des dépenses pour ses clients, elle permet de réduire le coût des volumes d’appels entrants »improductifs », tout en optimisant la qualité de la détection de la fraude.
Concernant sa mise en production, les impératifs réglementaires imposés aux roadmap des banques ne sont pas des accélérateurs sur ce type de sujet. Toutefois, certaines banques ont compris l’intérêt de ne pas trop tarder afin de pouvoir faire face à la menace croissante des GAFA et des NéoBanques. A titre d’exemple, la nouvelle carte lancée par Apple propose nativement une géolocalisation systématique des dépenses. »
Pouvez-vous nous donner un aperçu de votre modèle économique ?
BG : « CDLK Services est éditeur de logiciel générant des revenus de licence et également opérateur de plate-forme de services donnant lieu à des frais d’abonnement. Côté investissement, l’équipe CDLK est composée en majorité de profils techniques senior ainsi que des profils support correspondants aux fonctions de sourcing, de marketing et d’admin.»
Les solutions IT et Big Data sont multiples sur le marché, quels sont vos concurrents directs et comment CDLK se différencie d’eux ?
BG : « S’agissant d’une offre d’innovation multi-applicative sur les transactions carte bancaire, la concurrence est par nature protéiforme.
En termes de marché visé, CDLK se positionne sur les solutions big data de traitement de la donnée transactionnelle à des fins de nouveaux services bancaires innovants, avec un prisme qui est celui des grands comptes.
Sur ce segment spécifique, nous sommes donc en concurrence plus ou moins directe avec des solutions proposées par les Schemes carte (ndlr : Visa et Mastercard). Pour le CLO, ils proposent des solutions IT développées pour des marchés où ils sont également de gros processeurs. En France, le fait que les flux de paiement carte soient processés essentiellement par le GIE CB leur pose un certain nombre de problèmes techniques.
Par ailleurs, sur le marché des solutions 100% SaaS en stand-alone, il existe des solutions de cashback bancaire alternatives fonctionnant via le scrapping ou une API. C’est une approche technique différente, moins adaptée aux exigences des grandes banques. »
Suite au renouvellement de votre collaboration avec LCL et au lancement du nouveau programme de Cashback avec Société Générale, avez-vous d’autres projets dans ce sens ?
BG : « Effectivement, 2019 a été une année exceptionnelle puisque nous avons signé à nouveau avec LCL en tant que prestataire exclusif de CITYSTORE et avons déployé notre solution CLO chez SG. Des discussions sont en cours avec d’autres enseignes. A très court terme sur 2020, nos investissements sont priorisés sur la montée en puissance de notre plateforme dont l’objectif est d’atteindre très prochainement les seuils du milliard de transactions traitées annuellement, des 4 millions d’adhérents enrôlés et des 10 000 points de ventes référencés.»
Quelle est votre couverture géographique aujourd’hui ?
BG : « Compte tenu de la dynamique actuelle du marché en France, nous ne souhaitons pas nous disperser pour ne pas rater d’opportunités. Cela ne nous empêche pas de mener des discussions pour des déploiements sur des marchés étrangers lorsque l’opportunité se présente.»
Quels sont vos projets et perspectives pour les prochaines années ?
« Après des premières années de fort développement, nous devons continuer à croître de manière maitrisée. Sans remettre en question la dominance du CLO dans notre activité, la transformation de la donnée transactionnelle en nouveaux services est devenue désormais la pierre angulaire de la proposition de valeur de CDLK. Nos discussions actuelles avec les banques sont centrées sur comment aider les banques à exploiter leur masse de données transactionnelles qui, jusqu’ici, restaient sagement stockées chez leurs processeurs. Pour les banques, ne pas considérer ce sujet comme stratégique et urgent est un non-sens.»